Dans les arts martiaux du monde, et particulièrement ceux du Japon, la pratique ne peut se concevoir qu’uniquement comme un engagement total, corps et âme, de tout les instants.
Que ce soit au sein ou en dehors du dojo, l’état d’esprit, la présence, l’attention, la
vigilance, etc., rien ne change et c’est donc naturellement que dans les traditions, celui qui entreprend l’apprentissage d’une discipline, à tout intérêt à vivre au plus près de la source.
C’est sans doute cela, le principal intérêt du système des Uchi deshi, les élèves qui vivent au dojo, à proximité constante du maître et de son enseignement.
A notre époque moderne, de par la difficulté qu’il y a à le mettre en place, ce système tend malheureusement à disparaître mais pour prendre le cas de l’aikido, il est encore possible de trouver des opportunités de devenir Uchi deshi. On peut citer par exemple, l’ Aikikai de New-York dirigé par Yamada sensei, ou encore Tissier sensei, à Vincennes.

Il existe également des systèmes de Uchi deshi, plus confidentiels, moins formels, Tamura sensei bien qu’il ne prit jamais officiellement d’Uchi deshi, eu avec Mickaël Martin une relation en étroite conformité avec cette tradition. Car bien que plusieurs personnes avant Mickaël, aient occupées la fonction qui consiste à gérer et entretenir le dojo de Tamura sensei, Shumeikan, aucun sans doute n’eurent le même engagement, ni le même talent que lui pour être qualifié d’Uchi deshi de Tamura sensei.
Un autre expert comme Shimizu sensei du Tendokan (Tendo ryu aikido), à Tokyo, n’a qu’un seul Uchi deshi à la fois…en 2009 celui étant…son fils Kenta
Toujours dans l’univers de l’Aikido, il existe cependant un courant qui repose de longue date sur le système de Uchi deshi. Il s’agit de l’aikido issu de l’enseignement de Saito Morihiro sensei, poursuivi de nos jours par son fils et successeur Hitohira sensei, à Iwama, petite bourgade désormais célèbre pour être le lieu de naissance de l’aikido.
Le dojo de Hitohira sensei situé à Iwama, non loin du dojo mythique du fondateur de l’aikido (constituant désormais la branche Ibaraki de l’Aikikai) se trouve à environ 1h30 de train de l’ouest de Tokyo. C’est à la fois proche et loin pour moi, car il est toujours difficile de trouver le temps de s’échapper de la mégapole japonaise.
Par chance, profitant de quelques jours de congé, et grâce à l’entremise du dojo-cho (chef du dojo) du Uehara Aiki Shuren kai de Tokyo, j’ai pu l’espace de trois jours intégré la vie des Uchi deshi d’Iwama.
A l’origine de ce choix, outre l’envie de suivre de manière plus intensive l’enseignement de Hitohira sensei, il y avait de manière beaucoup plus concrète, la motivation de « goûter » aux tatami du Tanrenkan, son dojo.
En effet, j’avais auparavant pu me rendre à plusieurs reprises à Iwama mais toujours pour des évènements particuliers tel que Kagami Biraki, etc, jamais pour pratiquer …c’est désormais chose faite.
Le soir où j’ai débarqué quatre Uchi deshi était déjà sur place, tous provenant de coins du monde fort différents (Argentine, Danemark, Ecosse et Israël) et donnant à notre petit groupe une sympathique ambiance internationale.
Le programme d’une journée type oscille entre pratiques et taches domestiques…chargé mais riche.
A 5h du matin, la petite communauté se lève, devançant le soleil. Et déjà, certaines taches sont nécessaires: passer le balai, promener les trois chiens de sensei. A chaque jour correspond un Toban, c’est-à-dire une personne chargé de certaines responsabilités. Le Toban est responsable de la promenade des chiens deux fois par jour et, œuvre d’importance, de préparer les petit-déjeuner, déjeuner et diner pour l’ensemble des Uchi deshi.
L’arrivée le jour suivant de sept Uchi deshi supplémentaires, en provenance du Venezuela, compliqua forcément l’ouvrage du Toban (passer de la préparation des repas pour cinq personnes à celui de cuisiner pour douze)

Une autre tache matinale d’importance est d’alimenter le poêle à bois qui réchauffe la pièce principale du Shindojo, bâtiment mitoyen à la maison de sensei et à l’enceinte du dojo du fondateur. Il faut dire qu’en matière d’isolation et de chauffage central, le Japon a encore de gros progrès à faire. Ajoutez à cela, le froid rigoureux du mois de février dans les campagnes japonaises et vous comprendrez que la motivation pour exercer diverses activités n’est pas dure à trouver.
Un peu avant 6h, les Uchi deshi se rendent au dojo Tanrenkan pour le nettoyer et préparer le déroulement de la prière shinto du matin ainsi que de la séance de méditation qui s’en suit.

A 7h, débute le cours d’armes qui s’effectue généralement en extérieur dans un petit bois environnant Si le temps ne le permet pas comme ce fut le cas au cours du deuxième jour de mon séjour, la neige tombant en abondance durant toute la journée, la pratique a lieu dans le dojo mais toujours avec les armes (tachi dori, jo dori, etc).

Durant les trois jours de mon séjour, seul les Uchi deshi et Waka sensei (fils et
successeur de Hitohira sensei) étaient présents à ce cours matinal…cet enseignement privilégié, l’isolement et le froid de la campagne n’étaient pas sans me rappeler certains séjours, il y a de ça des années, durant l’hiver, au dojo Shumeikan, où nous nous retrouvions moins de quinze personnes à suivre l’enseignement de Tamura sensei…ce qui contrastait fortement avec les 300-400 participants de certains stages parisiens
A 8h, le keiko se termine, laissant du temps pour la pratique libre…j’ai pu ainsi m’exercer notamment au lancer de shuriken. De son côté, le Toban du jour rentre en avance pour préparer le petit-déjeuner qui a lieu chaque jour à 9h.
Tous le monde est debout depuis 5h et a grande faim.

A 13h, déjeuner, à 18h, retour au Tanrenkan pour nettoyer le dojo avant le cours du soir de 19h et à 21h, c’est le dîner La plupart d’entre nous se couche vers 22h et pour ce qui me concerne, aucune difficulté à trouver le sommeil
Dans la journée, il faut être prêt à porter assistance à sensei si le besoin s’en fait sentir, l’aider à transporter quelques meubles vers l’ancienne maison de Morihiro sensei, situé juste à côté de la cascade Aiki, un lieu dédié à la pratique du misogi, ou encore déblayer la route à proximité de l’Aiki Jinja de son imposant tapis de neige.

Au-delà les activités, les lieux alentours, les nombreuses photos accrochées au mur, les bokkens de toutes sortes que l’on trouve presque toujours à porté de main, rappelle l’omniprésence de la pratique de l’aikido…ce qui en fait un des lieux idéals pour s’y consacrer.
J’ai pu notamment apprécier le niveau des fils de sensei qui malgré leurs jeunes âges sont, ma foi, de solides gaillards, avec une poigne forte et une technique solide. Je ne peux que vous encourager à vivre au moins une fois dans votre vie, une expérience de ce type…à Iwama ou ailleurs.
