Le texte qui suit, m’a demandé pas mal d’effort, en effet mon faible niveau de japonais allié à la complexité des concepts et des idées impliqués, ont fait que plusieurs fois j’ai mis de côté sa traduction. Cependant, l’envie de savoir, et de partager, m’ont permis d’avancer suffisamment dans cet ouvrage pour vous fournir un article, qui j’espère sera enrichissant. Si la triple notion de ShuHaRi est désormais bien connu d’un nombre important d’adeptes du Budo, il n’évoque qu’un aspect des différentes étapes qui jalonnent la progression du Shugyosha.
Dans le texte qui suit, Watanabe Tadashige sensei, auprès de qui j'ai eu la chance d'apprendre le Shinkage ryu heiho, le Seigo ryu battojutsu et le Shinkage ryu jojutsu, évoque un autre concept, d’aspect plus pratique, mais visant au même but, la réalisation à travers les Budo-Bujutsu. Il s’agit de ShûKeiKô.1. Shû (習) correspond au verbe Narau (習う), apprendre, étudier. 2. Kei (稽) est le premier idéogramme de Keiko (稽古), l’entraînement. 3. Kô (工) quand à lui, fait ici allusion au mot Kufû (工夫), l’idée, l’invention. J’ai essayé au cours de ma traduction d’être le plus clair possible, n’hésitant pas à répéter le sens possible des termes Shu, Ha, Ri, Shû, Kei, Kô, etc. En espérant y avoir réussi.
Kamiizumi Isenokami Nobutsuna
Le vocabulaire bouddhiste au sein du monde des Budo-Bujutsu
En général, aussi bien dans les Budo que les Bujutsu, on utilise les termes de Shu-Ha-Ri, c’est devenu d’un usage tout à fait courant, mais ce que l’on nomme Shû-Kei-Kô est en général inconnu. C’est, je pense, peut-être à travers l’école de sabre Itto ryu que Shu-Ha-Ri, qui provient du vocabulaire bouddhiste, fut utilisé dans les Budo-Bujutsu. Mais à moins d’étudier cette période en détail, on ne peut pas en être sûr.
On raconte que c’est Kamiizumi Isenokami Nobutsuna, le fondateur (Ryuso) du Shinkage ryu, qui pour la première fois, incorpora du vocabulaires issu du Bouddhisme dans le Bujutsu. Jusque là il était fréquent de se servir de la terminologie du Shinto. Cependant, Kamiizumi pratiquant le zen depuis son enfance, exprima sa compréhension du sabre selon les termes du zen. Il utilisa également des termes d’escrime pour créer des koan.
Parmi les noms zen qu’utilisa Kamiizumi, on peut citer Marobashi (Un concept fondamental en Shinkage ryu) et Sangaku (A l’origine ce terme a le sens de s’instruire, et plus particulièrement d’apprendre le Bouddhisme. C’est également le nom du premier groupe de kata remontant au fondateur dans le Shinkage ryu). Dans le Sangaku bouddhiste, on parle de Kai-Jo-Ei (戒定慧, précepte-décision-compréhension), on retrouve ces trois apprentissages dans le Hyoho (stratégie martiale).
NdT: Hyoho ou encore Heiho est le terme sous lequel bon nombre d’anciennes écoles martiales désignent leur pratique. Dans le Sangaku du sabre (Le premier groupe de 5 kata du Shinkage ryu se nomme Sangaku En no tachi, c’est-à-dire le « sabre du cercle de l’apprentissage »), les cinq formes sont Itto Ryodan (une coupe, deux moitiés), Zantei Settetsu (couper les ongles, trancher dans l’acier), Hankai Hankô (à demi-ouvert, à demi-opposé), Usen Saten (faire le tour par la droite, tourner vers la gauche) et Chotan Ichimi (long et court, un et unique). Tout cela constitue également du vocabulaire zen.
Kamiizumi fut le premier à être respecté comme personne du Ken Zen Icchi (unité du sabre et du zen) en atteignant le suprême satori (illumination) et en l’exprimant à travers le Shinkage ryu. Je suis ainsi persuadé qu’il aurait pu se vanter d’avoir véritablement le précurseur du Hyoho et du Kenjutsu d’une nouvelle ère.
Shû Kei Kô ( 習稽工) dans le Shinkage ryu Dans la façon de penser et dans l’enseignement de Sangaku, il n’y a pas de Shu-Ha-Ri tel qu’on utilise ce terme de nos jours, en général. En Shinkage ryu, on utilise le terme de Shû-Kei-Kô. L’enseignement de Shû-Kei-Kô apparaît dans un ouvrage du troisième soke de l’école Shinkage ryu, Yagyu Hyogonosuke Toshitoshi. Ce dernier est à l’origine de la branche des Owari Yagyu.
NdT: Yagyu Hyogonosuke Toshitoshi, petit-fils du célèbre Yagyu Sekishusai Munetoshi, reçut de ce dernier l’héritage de l’école Shinkage ryu. Yagyu Toshinaga
A propos du paragraphe sur Shû-Kei-Kô, Yagyu Toshinaga (20ème soke du Ryu) explique: "Je vais enseigner ici, comme une règle inflexible, en essayant d’être clair, la raison de Keiko (稽古, entraînement, exercice). Ces trois points ( Shû-Kei-Kô, 習稽工) sont un cycle, ce sont « trois rangs, trois polissages » (NdT: on trouve parfois le terme de Sanma no kurai, le niveau des trois polissages). 習, Shû, a le sens d’apprendre, étudier;稽, Kei comme dans keiko, désigne l’exercice, l’entraînement; et enfin工, Kô, se retrouve dans le mot Kufû, idée, invention. Le cycle, le cercle (Enso) désigne en profondeur Enjo, c’est-à-dire accomplir harmonieusement le cœur du Bouddha. C’est une action inconsciente subtile, une circulation sans origine, sans arrêt, de la non-renonciation, la non-séparation et la non-stagnation.
L’enseignement de Shu-Ha-Ri (守破離) exprime les étapes de la voie du satori selon les enseignements de l’école Itto ryu.
NdT: l’école Itto ryu, déjà évoquée plus haut, est un ancien style d’escrime fondé au XVIème siècle et qui a donné naissance à un grand nombre de branches qui existent encore de nos jours tels le Ono ha Itto ryu, Mizoguchi ha Itto ryu, Hokushin Itto ryu, etc.