Rencontre avec le Yagyu Shingan ryu


Les influences martiales de Ueshiba Morihei, le fondateur de l’aikido furent nombreuses. Il est historiquement bien connu que O sensei étudia, entre autres,
l’école Yagyu shingan ryu sous la direction de Nakai Masakatsu. Il s’agissait plus particulièrement du Goto ha Yagyu shingan ryu, qui constitue la branche Edo de l’école et qu’il faut bien différencier de la branche Sendai, surtout connu à l’étranger à travers l’enseignement de Shimazu Kenji.


Nous parlerons donc ici de la lignée Edo, connu actuellement sous le nom de Arakido ou Yagyu shingan ryu taijutsu.
Le terme Arakido, le temple de Araki, fait allusion à Araki Mataemon (1594-1634), célèbre guerrier que la lignée Edo reconnait comme « fondateur ». Son influence actuelle sur la tradition n’est pas très clair, il est possible qu’il est inspiré Koyama Samon (Second soke de l’école et intermédiaire entre les deux lignées, Sendai et Edo). Mais la rencontre entre les deux personnages n’a jamais eu lieu, et pour cause, Araki est mort 84 ans avant la naissance de Koyama en 1718.


Araki Mataemon 荒木又右衛門


Comme de nombreux koryu (ancienne tradition martiale), le Yagyu shingan ryu taijutsu enseigne divers arts guerriers:

Le yawara, l’art du combat à mains nus, et dont l’origine de lutte en armure transparait toujours dans la pratique actuelle. On décrit la pratique de cette école comme étant musculaire, c’est-à-dire que l’utilisation du physique remplace la force brute.
Le kenjutsu, l’art du sabre du champ de bataille, ce qui implique aussi le maniement de l’odachi, un lourd sabre de bois avec une garde (tsuba) en tissu rembourrée.
Le bojutsu, qui implique le maniement du rokushakubo (bâton de 180 cm) et qui constitue la base (avec le yawara) de l’école.
Le iaijutsu, l’art d’utiliser le sabre à partir de la position rengainée.
Le hojojutsu, l’ensemble des techniques de ligotage.





J’ai eu l’opportunité en 2008 d’expérimenter la pratique du Yagyu shingan ryu taijutsu, sous l’enseignement direct du soke actuel (11ème soke de la lignée), Kajitsuka Yasushi.

En tant que système traditionnel, on n’accède pas au cours sans autorisation, mais par chance, je fus mis en contact avec Mr David Kawazu-Barber, le contact anglophone de l’école, qui aimablement me délivra une introduction pour un cours d’essai.
Ce premier cours eut lieu dans la petite ville de Yamato, dans la préfecture Kanagawa, à 1h de train de Tokyo. Le professeur responsable du cours était malheureusement absent ce soir-là, mais je fus gentiment pris en charge par les élèves, qui m’enseignèrent les trois premières techniques de base. La tenue traditionnelle de pratique est le keikogi, le hakama ainsi que le tenugu’i, un serre-tête qui a l’origine dissimulait une plaque de fer protégeant le front.




Les mouvements étaient puissants mais je ne ressentais pas un usage excessif de la force mais plutôt une utilisation précise de tout le corps. Lorsque je subissais une technique, je tombais très près de mon partenaire, toutes tentatives de fuite auraient été en réalité dangereuses. L’efficacité mortelle de ces techniques était évidente, encore plus en imaginant que l’on devait normalement les subir en portant une encombrante armure.
Certaines des techniques vues ce soir-là rappelaient celles du judo ou de l’aikido, les fondateurs de ces deux disciplines ont en effet pratiqués à deux époques différentes, le ryu.


Muto Masao



La séance se poursuivit par la pratique du sabre du Shinkage ryu (la lignée Otsubo de l’école étant également enseignée au sein du Arakido, depuis feu-Muto Masao, 10ème soke du Yagyu shingan ryu et professeur de Kajitsuka sensei).
Et finalement, nous abordâmes le travail au bo, dont la longueur et le poids me changea considérablement du jo auquel, en tant que pratiquant d’aikido, j’étais habitué. Là encore, l’utilisation du corps dans sa globalité est nécessaire pour manipuler cette arme.
Ce fut une fin d’après-midi et un début de soirée des plus agréables et passionnants. Ces premiers pas dans le monde du bujutsu ne m’avaient pas déçu et je repris contact avec Mr David Kawazu-Barber, à la fois pour le remercier de son aide et aussi pour lui demander s’il était possible de participer aux cours qui avaient lieu sur Tokyo. Il en parla à Kajitsuka sensei, qui aimablement donna son accord.


Kajitsuka Yasushi



C’est ainsi que le 18 février 2008, je me rendis dans un gymnase d’une école du quartier de Iidabashi, à Tokyo, muni cette fois d’une lettre d’introduction en tant que nouvel élève.

Le Yagyu shingan ryu est une des grandes écoles de Sogobujutsu, développé il y a 400 ans durant l’ère des royaumes combattants (sengoku jidai). L’école se divise en différentes branches se réclamant de fondateurs différents. Il semble que le second soke, Koyama Samon, enseigna à la fois dans la ville de Sendai (au nord de Tokyo) puis à Edo (actuel Tokyo), ce qui fut à l’origine de la création des deux lignées.
La branche Edo, le Yagyu shingan ryu taijutsu ou Arakido, que j’évoque ici, reconnait comme fondateur spirituel, Araki Mataemon, un guerrier du 17ème siècle qui aurait suivi l’enseignement de Yagyu Munenori, célèbre sabreur qui fut
instructeur du shogun, avant d’être à son tour professeur du fils de Munenori, Jubei. Ce dernier lui donna ainsi l’autorisation d’utiliser le nom de famille Yagyu.

Première rencontre avec le 11ème soke du ryu, Kajitsuka sensei


Le lundi 18 février 2008 marqua mes débuts en tant qu’élève du Yagyu shingan ryu taijutsu. Et même si je n’ai expérimenté cette pratique que deux mois en tout, je tenais à travers mon témoignage, vous faire découvrir à quoi peut ressembler la pratique d’une très ancienne école martiale de nos jours dans la grande métropole qu’est Tokyo.
Il faut savoir que comme beaucoup d’anciennes écoles, le nombre de pratiquants est très faible, encore plus dans Tokyo, où les occupations professionnelles laissent peu de place à une pratique régulière. Il faut ajouter à cela la difficulté d’obtenir un lieu de pratique, car la demande pour toutes sortes d’activités est évidemment très forte.
Le cours ce jour-là avait lieu dans un gymnase scolaire, une très grande surface certes mais nous devions parfois la partager avec des joueurs de ping-pong…
Le gardien m’ayant aimablement indiqué le chemin, je patientais devant la porte quand arriva une femme ayant l’apparence de la ménagère classique japonaise, qui après m’avoir salué, se mit à nettoyer sans un mot la majeure partie du sol. Puis avec mon aide, nous installâmes à même le sol de lourds tapis matelassés qui allaient faire office de tatami pour le yawara. 

Cette femme, madame A. avait amené avec elle un important fardas d’armes, deux bâtons (rokushakubo), deux lourds et épais sabres de bois (odachi) et enfin deux sabres de bambous recouvert de cuir rembourré (fukuroshinai). Soke devait arrivé en retard ce jour-là, et accompagné d’une autre pratiquante qui arriva peu après, nous débutâmes un semblant de pratique.

Les deux femmes me proposèrent de nous exercer à une technique de hanches du type judo (Ogoshi). Je dois dire qu’elles avaient des difficultés dans l’exécution de la technique, mais madame A. était particulièrement stable et solide pour son petit gabarit.
Soke arriva finalement, et après une rapide présentation, nous reprîmes la technique sous sa supervision.
Il m’expliqua qu’il s’agissait d’un travail fondamental (il est intéressant de noter que Sagawa sensei montrait un tanren quasi-identique) et qu’on accomplissait à
l’origine cette technique en portant une armure. Il exécuta le mouvement sur moi, me projetant à ses pieds puis mimant la sortie d’une arme blanche pour m’achever. La projection avait été légère mais le choc assez rude, il était évident qu’en portant une armure et en tombant sur une surface plus dure, les conséquences auraient été dévastatrices.
La séance se poursuivit par la pratique de quelques techniques de base. Durant ce temps, soke nous servit de partenaire à tour de rôle, corrigeant avec patience ou bien précisant un détail. Ce passage est révélateur du fait que dans le monde des arts martiaux traditionnels, la transmission doit se faire directement de maître à élève, de corps à corps, sans trop de détails oraux.




Kajitsuka sensei est le 11ème et actuel soke du Yagyu shingan ryu taijutsu. 

Né en 1952, à Yokosuka, dans la préfecture Kanagawa, Japon. Il rejoint en juin 1965, le dojo du 10ème soke, Muto sensei, dans la ville de Zushi.
En 1969, il débute avec son professeur, la pratique de l’école de sabre Shinkage ryu hyoho sous la direction de Otsubo sensei. Ce dernier étudia auprès
du 19ème et du 20ème soke de la branche Owari de l’école et reçut l’autorisation de créer sa propre lignée dite ''lignée Otsubo'' .

En 1979, il déménage à Kuroiso, dans la préfecture Tochigi et en 1992, il débute
l’enseignement des deux systèmes dans cette ville.
En mars 2001, après le décès de Muto sensei, il devient le 11ème soke de l’école.
Il existe un reportage datant des années 1970, réalisé par le Nippon budokan, où Kajitsuka sensei sert de partenaire à Muto sensei dans la démonstration des techniques de l’école.
Dans le Yagyu shingan ryu, les kata portent des noms pratiques, désignant le type d’attaque auquel on doit faire face, tandis que dans le Shinkage ryu, les noms des techniques sont plus ésotériques…plus poétiques aussi.


Les bases du Yagyu shingan ryu taijutsu reposent à la fois sur le Yawara, les techniques à mains nues, et sur la pratique du Bojutsu, le bâton de 1m80. Cela n’est pas sans me rappeler l’enseignement d’Akuzawa sensei de l’Aunkai qui utilise régulièrement le même type de bâton pour construire le corps (le poids, la longueur et la rigidité de l’arme aidant au renforcement de l’armature corporelle).
Les mouvements de bojutsu du programme du Yagyu shingan ryu existent sous une forme omote et ura, la première visant à construire le corps, la seconde étant plus offensive et davantage proche de l’application au combat.





Tout comme en Yawara, la position de base en bojutsu est la posture Hanmi (半身), où les pieds forment un angle droit tandis que le haut du corps se présente de profil par rapport à l’adversaire. Je suis personnellement convaincu que l’on trouve ici l’origine de l’utilisation de la même position en aikido, le fondateur ayant étudié cette école au cours de ses années militaires.
Il est évident que Hanmi a pour but de réduire la surface du corps vulnérable aux
attaques, tant à mains nues que face à une arme.
Arriver à manier cette lourde et encombrante arme est un excellent exercice qui mobilise l’ensemble du corps et est donc très formateur.
La troisième pratique fondamentale de l’école est celle du sabre, mais l’utilisation de lourds et épais sabres de bois (Odachi) fait que cette pratique doit davantage être rapprochée du Tanren (exercices de renforcement et de construction du corps) que de l’escrime.




L’exercice suivant par exemple est lui-aussi assez proche de certains exercices de poussée travaillés au sein de l’Aunkai.
Les deux partenaires se font face, poings contre poings, tsuba contre tsuba. De là, on pousse sur le partenaire afin de le faire reculer. On se sert pour ça, du centre de gravité, et on veille à ne pas perdre la forme de corps. On fait cela sur quelques allers-retours en alternant les rôles, puis au final, on repousse fortement le partenaire pour rompre la distance. J’ai gardé en mémoire l’étonnante stabilité de Kajitsuka sensei dans ce genre d’exercices.


Pour conclure, je dirais que même si je n’ai pas poursuivi la pratique de cette école, la rencontre avec Kajitsuka sensei, ses élèves et leur école, fut un moment riche et agréable. Je ne peux qu’encourager les personnes intéressées par les anciennes traditions martiales de tenter l’expérience. Au delà des techniques, la formation du corps, les méthodes de tanren qu’elles contiennent sont de véritables joyaux qu’il faut préserver.

Si le cœur vous en dit, vous pouvez visionner d'anciennes archives sur la pratique du bojutsu et du kenjutsu.



Entretien avec Tamura Nobuyoshi sensei