Pour rester dans la continuité des articles proposés récemment, et qui évoquent la tradition martial du Shinkage ryu, voici la traduction d’un article paru dans le magazine japonais Hiden Budo&Bujutsu en avril 2007. En espérant que vous y trouviez de l’intérêt. Bonne lecture à tous.
Le sabre de Enten-Irimi ou comment remporter la victoire en préservant la vie
NdT: Enten (円転) désigne un mouvement circulaire, Irimi (入身) l’action d’entrer dans l’espace d’autrui
Le principe Enten exprime le Katsujinto introduit par le fondateur du ryu. L’école Shinkage ryu peut sans doute se prévaloir du titre de plus célèbre bujutsu japonais. La méthode de sabre, l’utilisation du corps (Tai sabaki) renferment des mouvements qu’on n’observe pas dans le kendo moderne, très rectiligne, et même pour l’œil profane, on éprouve une forme d’esthétisme en regardant ce ryu. L’une des personnes qui se fait un devoir actuellement de transmettre le Shinkage ryu est Watanabe Tadashige, soshu du Shinkage ryu hyoho marobashikai.
En l’interrogeant à propos des techniques caractéristiques de l’école, nous allons essayer de suivre la trace du « Katsujinto », concept caractéristique du Ryu. Nous avons voulu en savoir plus sur ce qu’on appelle Enten et Irimi.
Le mouvement Enten est l’un des plus caractéristiques du Shinkage ryu. En accord avec le mouvement de l’adversaire, on pivote librement le corps et on entre au contact en croisant les sabres. Il ne s’agit pas d’un mouvement d’arrêt, ou encore d’une simple frappe ou coupe, non, il s’agit de contrôler l’adversaire. Certains y voient quelque chose de très semblable au mouvement « Irimi » de l’Aikido. Voilà ce qu’en dit Watanabe shihan: « Enten est un grand principe, par contre, habituellement, on n’utilise pas le terme Irimi. Ce concept est déjà inclu dans Enten. Manoeuvrer en tournant le corps, faire tourner l’adversaire autour de soi, tout cela est Enten. Si on veut être précis, Enten n’est pas quelque chose limité à l’espace en deux dimensions, c’est un mouvement tridimentionnnel. C’est cela le véritable Enten. »
Ce mouvement se manifeste dans tout l’espace. C’est par exemple le fait de rajouter à la rotation de l’axe du corps un mouvement circulaire en parallèle. C’est également la possibilité de bouger sur quasiment toute la longueur si les circonstances l’exigent. C’est pour ainsi dire le mouvement de la sphère. Tout d’abord, grâce à la rotation du corps, on capture l’adversaire. Puis d’ordinaire, on pousse ou on tire, faisant bouger davantage l’adversaire attrapé. En agissant ainsi, on le déséquilibre à coup sur, et il devient incapable de bouger. Après cela, on peut remporter la victoire en piquant d’estoc, en le coupant brusquement, en l’immobilisant, etc. C’est dans ce genre d’action qu’on devine l’essence de la méthode de sabre en armure faisant partie du Shinkage ryu.
Il est en effet difficile de trancher brusquement d’un coup de sabre un adversaire revêtu d’une armure (Kacchu), on ne peut pas l’abattre. Par conséquent, on se sert d’un pivot pour le déséquilibrer puis l’immobiliser. Incapable de bouger, il devient aisé de l’abattre en profitant des faiblesses de l’armure. « Dans le cas de l’escrime en armure, le principe est de maîtriser l’adversaire après avoir prit le contrôle de son gant (NdT: kote, partie protégeant le poignet). C’est par exemple le cas dans la technique Gasshi (合撃) (illustré ci-après). En Shinkage ryu, on ne se frappe pas mutuellement la tête. »
La technique Gasshi (Forme Honden*)
*La forme Honden correspond à l’enseignement original du fondateur du Ryu
Gasshi est une technique où on remporte la victoire lorsque l’adversaire vient frapper de face. C’est très semblable au Kiri Otoshi du Itto ryu. Au cours des démonstrations on s’aperçoit bien que les shinai frappent de concert mais Watanabe shihan dit, « Cela a été conçu pour le combat, et c’est un élément de Tanren très fort. Dans le Honden transmit par le Ryuso (NdT: Kamiizumi Isenokami Nobutsuna), on maîtrise le Kote de l’adversaire sans venir au contact de son sabre, on n’agit pas de manière à couper brusquement sur la tête. »
Au moindre mouvement de sabre, on entre en avance sur le sabre de l’adversaire qui est en train de s’abattre. Au lieu d’adopter une position de profil (Hanmi) difficile, forcée, on ne bloque pas le mouvement adverse, on fait naître naturellement un mouvement de la position du corps et des mains que nous présenteront plus bas.
Ce qu’on appelle la technique secrète de Katsujinto incarne tout à fait le principe ultime de Enten. Même si on frappe à la tête de pleine face un adversaire portant une armure, ce n’est pas efficace. C’est pourquoi on cherche à prendre le contrôle de son kote. On le maîtrise d’un coup. C’est possible d’y voir un mouvement voyant, tapageur, mais ce n’est pas ça, si on regarde bien, c’est un mouvement soudain. La rotation ne consiste pas à exécuter un grand mouvement (cela existe également bien sur). A l’instant où le sabre adverse frappe, on pivote le corps et notre sabre maîtrise son kote. C’est la rotation des hanches et de la lame qui fait tomber l’adversaire. Ceci est une base du Shinkage ryu.
Le corps du Shinkage ryu – utilisation de la souplesse
La souplesse du corps est nécessaire. En particulier, il faut que les mains, les épaules et les hanches soient souples. Par conséquent, le « Te no uchi » (NdT: « intérieur de la main » c’est-à-dire la manière d’empoigner le sabre) du Shinkage ryu n’est pas ce qu’on nomme en Kendo « Zokin Shibori » 雑巾絞り (tordre le torchon) mais ce qu’on appelle « Chakin Shibori » 茶巾絞り(tordre le chakin).
NdT: Le Chakin est une fine pièce de tissu de lin ou de chanvre employé lors de la cérémonie du thé.
Sans serrer trop fort, on tient le sabre avec souplesse. Mettre de la force engendre de la raideur, la souplesse disparait. « Tenez réellement. Si on met de la force, à coup sur, épaules et coudes se raidissent. Lorsqu’on exécute Enten, une grande rotation fait de l’épaule le centre, une petite rotation place le centre au niveau du coude. Qu’importe le coude et l’épaule, il faut être flexible dans toutes les directions et pour cela, peu importe la prise, elle doit être souple.»
Utilisation du corps en Shinkage ryu
La posture Seigosui (西江水)