La natation des samurai

Le but premier des arts martiaux est de développer la capacité de survie. La traduction qui suit aborde ainsi le sujet de la pratique martiale en milieu aquatique. Il s’agit plus précisément de la tradition guerrière transmise au sein d’une ancienne école japonaise (koryu), le Kobori ryu tosui jutsu (小堀流踏水術).
Le terme Tosui jutsu fait référence aux méthodes de progression et de combat lors qu’on se trouvait dans l’eau. En effet, si alors qu’on traversait une rivière sur le dos d’un cheval, une bataille se déclenchait, on ne pouvait plus rien faire et on finissait par se noyer.
J’évoquerai donc au cours de cette série d’articles les moyens que les guerriers d’antan ont développé afin de pouvoir se déplacer dans l’eau sans devenir une cible facile…bref le bujutsu en milieu aquatique.


Un les pieds, deux l’eau, trois les tripes, quatre l’art
Les samurai du passé avaient coutume de dire: « Un les pieds, deux l’eau, trois les tripes, quatre l’art ».
« Pied » fait référence au fait d’avoir de bonnes jambes, « tripes » (NdT:en japonais, c’est le mot « foie » qui est utilisé) est l’image du courage et « art » (gei) est synonyme de Bugei, l’art martial.
« Eau » quand à lui, désigne les méthodes de natation, les samurai ayant sérieusement réfléchis à la nage et à la marche dans l’eau. Pour eux, la natation était une importante discipline des Bugei Juhappan, les 18 arts du guerriers. C’est ce que va nous apprendre Koga sensei, soke du Kobori ryu.


En premier lieu, ne pas se noyer
La base du Kobori ryu consiste à « ne pas se noyer ». C’est particulièrement vrai lorsque que l’on a pas de vitesse, mais bien entendu, en toutes circonstances, on protège sa vie de la noyade. C’est l’idée fondamentale du ryu.
Il ne s’agit pas d’un sport, c’est une technique de survie nécessaire pour protéger sa vie dans les conditions extrêmes du milieu aquatique.
On a donc réfléchi au moyen d’amélioration selon le concept du maximum d’efficacité avec le minimum d’effort.






Dans le crawl, la brasse ou le papillon qui constituent nos méthodes de natation moderne, on cherche à atteindre la vitesse maximum sur une distance fixée à l’avance. C’est différent de l’idée de base du Suijutsu, l’art aquatique.
Si on rivalise dans une « eau morte » comme celle d’une piscine, ces méthodes de nage où l’on compte sur la force musculaire peuvent convenir. Cependant dans une « eau vivante » comme une rivière ou la mer, il faut pouvoir bouger librement, il faut pouvoir rester dans l’eau le plus longtemps possible en économisant ses forces. C’est ceci qui caractérise le Kobori ryu.
Au sein de ce koryu, les méthodes de nage sont multiples. Dans l’eau, dans cet espace en trois dimensions, ce sont des techniques qui utilisent au maximum la résistance de l’eau et la poussée d’Archimède, en se servant pleinement des articulations du corps.


Sokugeki, conserver ses forces dans l’eau


Sokugeki (足撃 qui signifie « attaque des pieds », NdT) est un mouvement particulier des jambes dans le Kobori ryu.
Cela ressemble aux battements de jambes du crawl, par contre on fait attention à diriger vers le haut le pied qui plonge. On garde à l’esprit le fait de frapper la surface de l’eau depuis le haut.
Comment nager dans une eau de 40 cm? Et bien il faut utiliser Sokugeki. Si on bat les jambes comme au crawl dans 40 cm d’eau, le bout des orteils va se retrouver en lambeaux. En dehors d’une piscine, on ne sait pas ce qui se trouve au fond de l’eau. De même avec la brasse, ce sont les genoux qui finissent par heurter le bas-fond.
Avec Sokugeki, on ne se blesse pas. Il devient possible de nager en flottant de manière à glisser. Comparé à la ligne qui se dessine du bas de la cuisse jusqu’à la pointe des orteils lors du battement des jambes dans le crawl, lors de Sokugeki, la cheville et le genou sont toujours un peu tourné.
On a conscience des muscles ischio-jambiers à l’arrière de la cuisse mais on se focalise au cours de Sokugeki sur les muscles de la face antérieure de la cuisse, les quadriceps et le muscle tibial antérieur.
Si on réalise un Sokugeki habile, lorsque l’on frappe la surface de l’eau, on dit qu’il se produit un son agréable. En pratique, c’est assez difficile d’y parvenir. On a plutôt tendance à être bruyant.


Sokugeki


On a réfléchi à comment nager dans 40 cm d’eau, on frappe du pied la surface de l’eau d’une manière différente du crawl.


On respire par le nez sans immerger la tête.


Si dans le crawl, on a la sensation de prélever de l’eau depuis le bas comme avec une louche, dans Sokugeki, c’est une impression de fouetter la surface de l’eau qui demeure. Sokugeki n’est possible que si on enlève la force des jambes. Dans les méthodes de nage, en toutes circonstances, on insiste sur le fait d’éliminer la force.
Si un être humain retire sa force, il peut flotter dans l’eau. Si lorsque l’on tombe dans l’eau, on met de la force sous l’effet de la panique, on se noie. Dans l’eau, il faut conserver ses forces, c’est quelque chose à graver dans son esprit.



Taguri Oyogi, au coeur de l’école Kobori
Importance de la sensation d’unité du corps
Il s’agit d’une façon de nager caractéristique qui se trouve au coeur de la natation du Kobori ryu. On oriente plus ou moins latéralement le corps à l’intérieur de l’eau. Dans le même temps, on exécute le mouvement Fumi Ashi (NdT: le pied qui marche) avec la jambe du haut, et le mouvement Sokugeki (NdT: le pied qui frappe) avec la jambe du bas.
Fumi Ashi, comme son nom l’indique, est un mouvement où on foule du pied l’intérieur de l’eau. (NdT: Fumi,踏み, vient du verbe Fumu,踏む, qui signifie « marcher », tandis que Ashi,足, désigne « le pied »)
Ce terme désigne un mouvement où on frappe du pied, la cheville et le genou tournés de 90 degrés environ. On peut tourné la cheville d’un peu plus de 90 degrés, mais on ne va jamais au-delà pour ce qui concerne le genou.
A partir de là, avec détermination, on étire la jambe. C’est donc un mouvement où on piétine l’eau.


La nage Taguri Oyogi


On écope l’eau avec la sensation de tirer sur une corde avec les deux mains


On utilise les jambes comme illustré ci-dessous



Fumi Ashi est utilisé dans d’autres techniques mais dans le cas de la nage Taguri Oyogi, on fend l’eau en tournant à la manière d’une hélice, et en la propulsant avec la face interne du pied comme dans un mouvement d’éventail.


Le mouvement du haut du corps
C’est du mouvement du haut du corps que provient l’origine du nom.
(Taguri, 手繰, signifie « tirer une corde »; Oyogi provient du verbe Oyogu, 泳ぐ, nager) On réduit le mouvement en tournant les coudes des deux bras étendus, à droite et à gauche, cela rappelle précisément le mouvement que l’on exécute pour « tirer à la corde » avec les deux bras.
Dans le crawl, la force de propulsion provient à 60-70 % du haut du corps, tandis que dans Taguri Oyogi, c’est le contraire, le bas du corps fournissant 60 à 70% de la force de propulsion.
Koga sensei, soke du ryu, explique, « Le crawl est une nage où on a dissocié le haut et le bas du corps. Cependant dans Taguri Oyogi, il faut pouvoir avoir conscience de la cohérence, comme un tout, du corps. Si on poursuit le mouvement, en envoyant d’avant en arrière les deux bras en les tournant dans le dos, la nage devient ce que l’on nomme Haya Nuki Oyogi.

La nage rapide Haya Nuki Oyogi

Haya Nuki Oyogi, vue de face

De part la force de propulsion fournit par le haut du corps, cela se transforme en une nage de vitesse. Selon les spécialistes du Kobori ryu, il existait autrefois des personnes qui nageaient le 50 mètres en 30 secondes en se servant de Haya Nuki Oyogi. Le record mondial de crawl étant au alentour de 25 secondes, on peut comprendre à quel point c’était rapide.
(NdT: L’article date de mai 2002, mais récemment Alain Bernard est descendu en dessous des 22 secondes)

Nanba dans l’eau
Comprenez-vous la particularité de Taguri Oyogi et de Haya Nuki Oyogi? C’est le
mouvement que l’on nomme Nanba. Et Koga sensei de détailler:
''Dans Taguri Oyogi, on bouge en même temps la jambe et le bras du côté correspondant, la force du mouvement est celle de Nanba. Nanba est à la base des Bujutsu japonais comme le Kenjutsu.
Taguri Oyogi est donc un nanba à l’intérieur de l’eau. Si on observe les applications pratiques, entant qu’art de guerre, du Kobori ryu, on en comprend l’extrême intérêt.''

Noma dojo 野間道場