Parmi les écoles japonaises de sabre, il en est une bien connu de certains aikidoka de l’héxagone. En effet, le Kashima shin ryu (鹿島神流), à ne pas confondre avec le Kashima shinto ryu (鹿島新当流), fut source d’inspiration pour certains experts d’envergure, à commencer par Yamaguchi sensei et Tissier sensei.
Il convient de mettre un bémol en disant qu’il est clairement établi que l’on trouve en France des formes de sabre inspirées du Kashima shin ryu et non pas véritablement le travail proposé dans cet école. En effet, les exercices que Christian Tissier introduisit dans son enseignement proviennent de sa rencontre avec Inaba sensei, un professeur d’Aikido ayant lui-même étudié sur une très courte période auprès du 18ème soke du système, et qui n’est en aucun cas un représentant légitime du Kashima shin ryu. Ce qui en soit n’est pas très important d’ailleurs puisqu’il semble également y avoir des doutes sur la lignée
soit-disant remontant à 500 ans de l’école. Ce qui lui fait un point commun avec le Daito ryu dont beaucoup attribut la création (ou tout au moins l’établissement en tant qu’école) à Takeda Sokaku.
Cela n’enlève en rien de l’intérêt au personnage, expert de sabre et redoutable combattant que fut Kunii Zenya, soke du Kashima shin ryu. Et c’est le but de cet article que de vous le présenter avec certains éléments peu connus.
Né le 20 janvier 1894 et décédé le 17 août 1966, Kunii Zenya (de son vrai prénom Michiyuki, Zenya étant son prénom martial) fut donc un contemporain de grands experts tel Ueshiba Morihei ou bien encore Kuroda Yasuji. Né dans la préfecture japonaise de Fukushima, on raconte qu’il ne fut jamais vaincu au cours des matchs qu’il effectua avec de nombreuses autres écoles. Son habileté martiale écrasante, fit qu’on le surnomma « le Musashi d’aujourd’hui » (« ima musashi » en référence à Miyamoto Musashi). Là encore, on peut faire le rapport avec Takeda Sokaku qu’un article de presse surnommait « ima bokuden ». Je vous invite à ce propos à découvrir l'excellent article de Guillaume Erard.
Avec lui, la victoire était décidé avant le combat, que ce soit avec les armes tel le sabre ou le bâton, ou bien en acceptant les défis de judoka et de karateka. Souvent considéré comme un « hérétique » par ses pairs, Kunii sensei était la personnification du Kobudo japonais. Outre Inaba Minoru sensei précédemment évoqué, on trouve parmi ses élèves, Seki Fumitake, qui devint le 19ème soke de l’école.
Comme bon nombre de personnages de son calibre, il existe plusieurs anecdotes révélatrices du type d’homme qu’il fut.
La formation
A l’époque de son entraînement, il devint uchi deshi d’un expert, Menkyo kaiden, de Shinkage ryu, Sasaki Shonosuke. Dès le lendemain, Sasaki sensei lui ordonna: « Amène quelque chose, ainsi qu’autre chose! » sans préciser ce à quoi il pensait. Cette demande vague avait pour but de développer chez son élève ce que l’on nomme « Shingan Kakutoku » (心眼獲得), l’acquisition du regard du coeur. Autrement dit devenir capable de lire les pensées de l’adversaire. Les jours suivants, les ordres devinrent encore plus vagues, du genre, « Fais-le! », etc., mais Kunii devint capable de deviner assez souvent le sens que renfermait les paroles de son maître. Il est possible que cela permit de développer chez lui la capacité à lire les mouvements de l’adversaire avant qu’il se produise, faculté qu’il démontra par exemple au cours d’un affrontement avec un militaire américain.
Face à un instructeur des Marines
Après la fin de la guerre du Pacifique, le commandement des forces alliés demanda à ce qu’une rencontre ait lieu entre un budoka japonais et l’un de ses instructeurs de baïonnette appartenant au corps des Marines US. C’était un combat pour la fierté et l’honneur du Budo japonais. Il n’était pas question de se faire battre à la légère. Un véritable combattant était nécessaire.
L’instructeur américain était également compétent en close-combat, et on devait prouver sa force également dans le cas où on était sans arme. Sasamori Junzo, homme politique (ministre d’état) et budoka (pratiquant l’école de Iai Hayashizaki Shinmuso ryu, il était avant tout le 16ème soke du Ono ha Itto ryu kenjutsu) désigna Kunii sensei pour servir d’adversaire au militaire.
Kunii Zenya fit face à la baïonnette, tenant un bokken, à l’instructeur armé d’une baïonnette. A peine le combat avait-il débuté que Kunii sensei, voyant toutes les attaques de son adversaire, parvint à contrôler ce dernier avec son sabre, le mettant dans une situation où il ne pouvait plus accomplir le moindre mouvement. La différence de force écrasante rendit la défaite de l’instructeur évidente.
A l’époque, les alliés pensant que le Budo était en relation avec le développement du militarisme, avait prit pour mesure d’interdire son enseignement. Les années suivantes, il se répandit une fausse rumeur disant que l’interdiction avait été abrogé grâce à la victoire de Kunii, mais il n’en était rien. Cependant Kunii sensei fut reconnu comme un expert du combat au cours de cette bataille qui fit honneur au Budo japonais.
L’hérésie
Au cours d’une démonstration (Enbukai) se tenant au Meiji jingu, il proposa à une autre école de l’affronter, mais suite à ça, durant plusieurs années, il reçut l’interdiction de se rendre au sanctuaire. En effet montrer sa véritable force dans un lieu public pouvait être considérer comme une hérésie dans le monde du Kobujutsu. Les autres écoles montraient invariablement du mépris lorsqu’on évoquait son école pour sa force.
Un rénovateur plutôt qu’un héritier
Pour certains, il semble que Kunii Zenya se soit octroyé lui-même le titre de 18ème soke du Kashima shin ryu, en effet, il ne fut jamais en possession des anciens documents et archives de cette tradition. Une théorie s’interroge sur le fait que le Kashima shin ryu de Kunii sensei ne serait pas une école qu’il aurait reconstruit à l’origine à partir des autres écoles (Shinkage ryu, Nen ryu, etc) qu’il avait étudié.