En terre sainte du Daito ryu

Dans l'univers du Daito ryu, principal source technique de l'aikido, l’héritage martial de Takeda Tokimune, le fils et héritier de Takeda Sokaku, est incontestable. Le lieu emblématique où se déroula cette transmission fut sans aucun doute le Daitokan dojo situé à Abashiri, complètement au nord d’Hokkaido, la grande île septentrionale de l’archipel nippone. A la fin du 19ème siècle, la ville était surtout connu pour son terrible établissement pénitentiaire, où des opposants politiques étaient retenus dans des conditions terribles.





Non loin d’Abashiri, dans la cité de Kitami, on trouve le honbu dojo de l’association Shiseikan (至誠館) qui s’évertue à préserver le Daito ryu transmit par Takeda Tokimune. A la tête de cet organisme, on trouve Sano Matsuo sensei, sans doute l’un des tout derniers élèves directs de Takeda Tokimune. 

A l’occasion de la grande démonstration annuelle du Shiseikan fin 2013, le magazine Hiden a réalisé un entretien avec Sano sensei, qui bien que fort âgé, se remémore avec passion de sa période passée auprès du 36ème soke du Daito ryu. Un témoignage de poids dont je vous propose aujourd’hui la traduction.



Entretien avec Sano Matsuo, kancho du Shiseikan Aikibudo


Le Daito ryu a prit racine en Hokkaido. Tout simplement parce que Takeda Sokaku, le rénovateur du Daito ryu aiki jujutsu s’y était installé. Par la suite, son troisième fils et héritier, Tokimune, prit sa suite en établissant un dojo, le Daitokan, sur des terres glaciales. C’est là que de nombreux élèves firent leur début. Mais il existe encore de nos jours un élève avancé ayant travaillé sous la direction de Tokimune sensei avant l’établissement du Daitokan. Il a passé son temps à étudier avec ses élèves à Kitami, à proximité d’Abashiri. Il s’agit de Sano Matsuo shihan, kancho (président) du Shiseikan Aikibudo.


Sano Matsuo sensei


Le 3 novembre de l’année derniere (2013) avait lieu le 10ème Enbukai du Shiseikan. Ce fut pour nous l’occasion d’aller à la rencontre de Sano sensei. Ce jour-là, bien que sa santé ne soit pas excellente, il se dégageait sur son visage une impression de calme. Il possède de larges bras et démarrer une conversation sur le Bujutsu ralluma un éclat dans ses pupilles. Les deux autres personnes qui l’aident dans la gestion de l’association, le directeur Chiba et Sasaki sensei, shihan au sein du Shiseikan se joindront à nous, afin d’aborder des sujets tel l’histoire, les souvenirs de Tokimune sensei et l’actualité du Shiseikan.



Merci de votre présence aujourd’hui. Je ne pense pas que l’on puisse faire le tour
de votre longue histoire mais tout d’abord, Sano kancho, j’aimerai que vous parliez de vous.
Sano Matsuo: J’ai actuellement 84 ans. En 2002, j’ai établi le dojo Shiseikan à Kitami. J’avais la chance d’avoir un bon travail ce qui m’a permit de me consacrer à la pratique de l’Aikibudo, à la poésie (Shigin) que j’appréciais ainsi que de donner du temps à des associations culturelles pour la jeunesse. Récemment, ma santé déclinante, m’a obligé à quitter la première ligne.
Jeune, je travaillais à Tokyo dans l’entretien des véhicules de l’armée mais après la guerre, j’ai trouvé un travail dans le même domaine à Abashiri. J’ai frappé à la porte du dojo de Tokimune sensei dont j’avais appris, par hasard, qu’il recrutait des élèves. A l’époque, juste après la guerre, la sécurité publique était mauvaise. Je cherchais un professeur de Budo ayant une expérience dans le maintien de l’ordre public. C’est ainsi que j’appris l’existence du fils de Takeda Sokaku, Tokimune.



Il avait prit sa retraite de la police et travaillait dans une entreprise, la pêcherie Yamada. Peu après, il établit le Daitokan pour la diffusion de l’Aikibudo grâce au soutien et à la forte sollicitation de Mme Nakagawa Ise (membre du conseil municipal d’Abashiri et à la tête de la section féminine du partie politique PLD). Lorsque je devins élève, 15 personnes, membres de la mairie, pratiquaient.


A quelle époque cela se passait-il?
Sano Matsuo: En 1954, lorsque j’avais 25 ans. A l’époque nous délimitions un espace pour pratiquer en disposant au sol des caisses à poissons qui provenaient de l’entreprise de Tokimune sensei. L’odeur était bien présente. C’est pourquoi en 1956, il a été inauguré le Daitokan grâce à des donations. Tokimune sensei a changé le nom de Daito ryu aiki jujutsu en celui de Daito ryu aikibudo.


Vue extérieure du Daitokan



Sano sensei, vous avez reçu l’enseignement de Tokimune sensei au tout début de la période du Daitokan. Quel était votre impression le concernant?
Sano Matsuo: Et bien, il avait des poignets véritablement épais et était dôté d’une très grande force. A l’époque, aussi loin que je sache, il était le plus grand budoka au Japon.
Nous n’étions pas du tout traité avec ménagement durant les keiko. On pouvait dire que plutôt qu’être élève, il nous utilisait pour son entraînement. Il avait un caractère sévère mais cependant, il organisait un repas en faisant livrer des ramen pour les élèves venant de loin, et même à ceux qui lui rendaient une brève visite avec une moue déplaisante, il enseignait tout.

Bien que tous le monde se rende au dojo en voiture, Tokimune sensei, lui, venait en vélo. Il était capable de trouver du temps malgré sa charge de travail. Et quotidiennement il retournait au travail en vélo.



C’est une anecdote où on peut ressentir la fierté de Tokimune sensei en tant que Bujutsuka, ainsi que sa sévérité et sa chaleur. Après son décès, vous avez établi le Shiseikan Aikibudo. Pourriez-vous nous donner des détails?
Sano Matsuo: Par le biais d’une relation professionnelle, je me suis rendu à Kitami. En 1967, j’ai reçu une demande pour enseigner l’Aikibudo et c’est ainsi qu’a été établi une section (Shibu) avec l’autorisation formelle de Tokimune sensei. Ce fut l’origine du Shiseikan actuel.



Il y a actuellement 25 membres au Honbu dojo, ce qui, en comptant les membres des sections étrangères (Italie, Israël) nous amène à 80 personnes. Dans d’autres dojo, le système d’entraînement a changé mais ici, on fait le keiko tel que l’accomplissait Tokimune sensei, en transmettant avec minutie la façon de se tenir debout, de s’asseoir, etc. De plus, nous nous faisons fort de poursuivre chaque année un keiko dans la neige, sous le froid.


Footing et keiko dans l’extérieur gelé de Kitami


Hein?…au Japon, Kitami est un lieu réputé pour son froid extrème. C’est une rude ascèse.

Sano Matsuo: C’est triste mais désormais mes compagnons, qui ont étudié directement auprès de Tokimune sensei ont disparu. Au cours du Taikai (grand rassemblement), on s’adresse aux autres associations d’Aikibudo, mais il n’y a pas d’unité. Pour des personnes qui étudient le même Aiki, c’est dommage. Pour ce 10ème évènement du Shiseikan, des élèves sont venus d’Allemagne, d’Italie, d’Israël, etc. Tokimune sensei disait que l’Aikibudo est une self-defense (Goshin) et qu’il ne fallait pas blesser les autres. Je me souviens qu’il disait également qu’il fallait établir les règles par un simple regard.

Sensei, merci pour cet agréable moment et à une prochaine fois.


Ame no Tori Fune天の鳥船