Shumeikan, 修明館 est le nom qu’a choisi Tamura sensei pour son dojo, inaugurée en 1995, dans un petit village du Var, Bras.
Même si cela fait fort longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de m’y rendre (et mon départ pour le Japon n’a pas arrangé les choses), c’est toujours un lieu qui est cher à mon cœur.
Je me rappelle que lors de ma première visite au début des années 2000 j’étais
accompagné par Mickaël Martin, qui n’avait pas encore intégré le dojo en tant qu’uchi deshi, et par la suite, les occasions de descendre dans le sud furent nombreuses, je restais souvent une semaine entière, alternant entre les cours de Tamura sensei, le mardi et mercredi, et ceux de Mickaël, qui entre temps s'était installé sur place, les autres jours de la semaine.

Comme il l’explique dans le texte publié un peu plus loin, Tamura sensei avait voulu ce dojo, petit, afin de privilégier la qualité, et il est vrai que certains soirs c’est en comité restreint que nous avions la chance de recevoir son enseignement. Je me souviens en particulier d’un soir d’hiver où nous n’étions moins de quinze sur le tatami ou encore quelques années plus tard, de Tamura sensei en train de nous démontrer pour la première fois sa pratique des « Huit pièces de Brocart », et bien d’autres moments encore.
Le texte que je tenais à vous livrer ici, fut écrit de la main même de Tamura sensei. Même s’il date de 1990, alors que Shumeikan n’était encore qu’un projet, sa longueur fit que sensei ne se décida à le publier qu’en 1994, alors que son dojo était déjà en fonctionnement.
Ce texte, intitulé « Construire » permet de se remémorer le cœur et l’esprit de
Tamura sensei lorsqu’il décida d’établir Shumeikan, le « bâtiment de la clarté de l’étude ».

CONSTRUIRE
par Tamura Nobuyoshi (août 1990)
(ce texte fut publié en 1994 dans la page d’information n°2 de Shumeikan)
J’aimerais vous délivrer un document rédigé avant l’achat du Dojo de Bras. Il m’avait semblé un peu long pour être publié mais en le relisant je trouve qu’il exprime bien mes sentiments.
Avant qu’un phénomène ne se manifeste il y a toujours des signes avant-coureurs. Au début du printemps souffle une brise douce et légère, amandiers et pruniers bourgeonnent…Vers la fin de l’été il arrive que le vent fraîchisse, que la lumière du soleil décline et que le bleu du ciel devienne plus profond…
Ces signes annoncent l’automne. La fin de l’hiver annonce le printemps, celui-ci n’est pas plutôt terminé que c’est déjà l’été. Ces signes que l’œil ne peut distinguer et que la main ne peut saisir préludent aux phénomènes.
Nous avons l’habitude de penser que la beauté des couleurs ou le parfum d’une fleur procèdent de la fleur. Mais la fleur ne serait-elle pas plutôt le résultat de l’accumulation ordonnée de corpuscules de couleur et de parfum?
Nous avons un projet de dojo. Les signes avant-coureurs se sont manifestés il y a bien longtemps déjà mais ne se sont pas encore transformés en réalité. Probablement notre volonté et notre détermination n’étaient-elles pas suffisantes? Peut-être un projet trop longtemps réchauffé s’est-il infecté, troublé et ne peut plus prendre forme. Un dojo dépend de la force de notre volonté, de notre pureté, de notre joie de vivre, de notre sens de l’entraide, d’un esprit qui englobe toutes ces qualités. Si au contraire il s’agit d’accumuler les désirs de chacun, la volonté de puissance, l’égoïsme, le sens politique, les rancunes et les jalousies, il est bien préférable de ne pas en construire…
Un dojo est un lieu d’éducation. Même si la cuisine est superbe, les plats qui y sont préparés sont à la hauteur du cuisinier. Nous préférons former de bons cuisiniers plutôt que de construire de belles cuisines ce qui veut simplement dire que nous pouvons nous contenter d’un bâtiment très simple. Je répète qu’il y a plus de vingt ans que nous parlons de construire un dojo. Nous avons même commencé à lever des fonds, vendu t-shirts et médailles qui ont laissé un petit bénéfice mais rien n’a vu le jour et le projet s’est enlisé.

Pour la première fois, grâce aux efforts des dirigeants de la FFAB, la somme nécessaire à la construction d’un dojo a été réunie. Si j’ai parlé d’édifier un dojo il y a quelques années, c’est que le développement de l’aikido s’est accéléré. La qualité et la quantité des enseignants sont insuffisantes et je pense que si l’on ne fait rien pour y remédier le niveau moyen de l’aikido français va baisser.
La nécessité de construire rapidement un dojo ou une école m’est apparue. Afin de pouvoir donner une bonne éducation, il faut limiter le nombre d’élèves car il y a des limites à la capacité d’enseigner d’un professeur. J’ai donc demandé à ce que le dojo soit petit.
Disposant pour le moment de peu de temps libre, j’ai demandé comme vous le savez, à ce qu’il soit proche de mon domicile. Afin d’obtenir des subventions nous avons élaboré un projet vaste et complet avec bureaux, bibliothèque, dortoirs, etc. Mais en réalité un dojo petit et simple convient le mieux. Il pourra grandir ensuite et cela vaut beaucoup mieux que de voir un grand projet rétrécir à l’usage. Il semble toutefois utile de disposer d’un grand terrain pour pouvoir faire, en temps utile, les aménagements nécessaires.
Qui plus est ce dojo ne devrait pas rester unique. Les diplômés qui en sortiront pourront, dans le futur, créer de nouvelles branches sur ce modèle tout en profitant de l’expérience du premier. C’est pourquoi je ne veux pas prendre en compte de problèmes de distance ou d’éloignement.
Soudain les esprits se sont enfiévrés, les projets sont devenus trop grands dépassant de très loin les possibilités d’auto-financement.
Je rêve bien sûr d’habiter un beau jour un château ou d’avoir un superbe dojo mais l’obtenir à la faveur d’un emprunt et au détriment de l’éducation, c’est tout faire à l’envers. O sensei répétait souvent que la qualité d’un maître baisse quand il possède un dojo. La bonne gestion d’un dojo obligeant parfois à des concessions qui ne vont pas toujours dans le sens d’une meilleure éducation. N’ayant pas une grande force d’esprit je ne veux pas courir ce risque.
Ces derniers temps, les uns et les autres ont commencé à chercher un lieu propice et quelques propositions intéressantes ont été faites.
N’oubliez pas ce qui vient d’être dit. Il faut commencer par rejeter l’égoïsme et envisager avec calme et sans passion les tenants et les aboutissants de chaque proposition avant de prendre une décision.

Le grand sage hindou Sri Aurobindo a établi un Ashram célèbre dans le monde entier où l’on vit en communauté et dans l’égalité. Il est mort en 1950. Une française « La Mère » a pris sa succession, elle a lancé en 1960 la construction de la capitale de la Paix Universelle / Auroville.
Le projet voulait que 50 000 personnes y vivent sans discrimination de race, de langue ou de religion, dans la paix.
En 1968 à la cérémonie de la pose de la première pierre les représentants de 121 pays étaient présents ainsi que de nombreux volontaires qui souhaitaient s’y installer.
En 1973 à la mort de la Mère, un profond désaccord entre les dirigeants de l’association et les résidents entraîna l’arrêt du projet. L’agriculture organique et les constructions utilisant l’énergie solaire de cette cité futuriste furent abandonnées.
Cette ville de rêve fut sacrifiée aux heurts d’ambition et aux opinions divergentes et je ne voudrais pas que l’histoire de notre dojo en soit la triste répétition.
Il faut laisser aux prémices favorables le temps de parvenir à maturité afin de construire un dojo digne de ce nom.
