Ame no Tori Fune天の鳥船


Il est bien connu que les concepts du Shinto, sa cosmogonie, son vocabulaire aussi bien que certaines de ses pratiques faisaient parties de l’aikido tel que le concevait son fondateur, Ueshiba Morihei. Les explications que ce dernier donnait concernant le but de la pratique étaient transmis dans un langage hermétique difficilement compréhensible par la plupart des japonais de l’époque et bien entendu encore plus par nous, occidentaux, du 21ème siècle.




Ueshiba Morihei fut également très marqué par les enseignements du bouddhisme ésotérique (tantrique) Shingon, mais il s'agit là d'un autre sujet sur lequel j'ai bon espoir de revenir dans un futur proche.

Il ne s'agit bien entendu aucunement de se convertir à une religion quelconque
pour faire de l’aikido, mais je pense qu’étudier le sujet, rechercher la signification de certains concepts, le sens de certaines pratiques dont certaines nous sont parvenues, est digne d’intérêt.


Le concept de Misogi me tient particulièrement à cœur et je pense continuer régulièrement à écrire sur le sujet.
Il me semble également intéressant de parler de la conception spirituelle selon le Shinto que l’on résume sous le terme Ichirei Shikon Sangen Hachiriki. Le sujet est complexe, je suis loin de le maîtriser.


Il existe par exemple certains exercices, souvent exécutés en début de séance (ils
l’étaient en tout cas à l’époque où j’ai débuté l’aikido) qui proviennent directement du Shinto, sans que le pratiquant n’en ait conscience, ou tout au moins sans qu’il n’en comprenne le sens originel. Le plus emblématique à mon sens est la pratique (Gyo) connu sous le nom poétique de Ame no Torifune Undo, le mouvement bateau-oiseau du ciel, ou sous celui plus pragmatique de Fune Kogi Undo, le mouvement du rameur.


Séquence issue d’un film sur O sensei: exécution de Ame no Tori Fune


Je ne reviendrais pas sur la description pratique de ce mouvement accompagné de sons et exécuté sur trois rythmes, il existe d'ailleurs des variations selon tel type de courants d'aikido, ou tel école de pratique Misogi. Vous trouverez en suivant ce lien, une description détaillée de cet exercice.



Avant sa rencontre avec l’excentrique personnage qu’était Deguchi Onisaburo (le seul qualificatif que je pourrais lui donner serait celui d’artiste-gourou charismatique) et dont les conceptions religieuses et spirituelles allaient profondément le marquer, Ueshiba Morihei, avait apparemment été initié à certains exercices du type Misogi, dont Ame no Torifune Undo, par un philosophe religieux nommé Kawatsura Bonji.


Kawatsura Bonji


Il est assez difficile de dénicher des détails sur la vie de Kawatsura Bonji, tout au moins en anglais ou en français. Il est connu pour avoir remis au goût du jour bon nombre d’exercices issus des pratiques ancestrales populaires du Japon et liés à la conception Shinto du nettoyage du corps et du mental, le Misogi.
Il fonda au cours de l’ère Meiji (1868-1912) une association qui existe encore de nos jours, le Miizukai. Les informations qui suivent sont d’ailleurs issues de leur site japonais.




Prénommé dans l’enfance, Takashi, Kawatsura sensei adopta par la suite le prénom de Tsunetsugu puis finalement celui de Bonji. Il naquit en 1862 dans la préfecture Oita, et à l'âge de 15 ans, il entre au Masa san 馬城山 (sans doute un sanctuaire shinto de montagnes?).
A 45 ans, en 1907, il établit le Miizukai à Tokyo. Il publit par la suite de nombreux
ouvrages et périodiques. En 1910, il organise le premier Misogi des périodes de grand froid dans un torrent de la préfecture Kanagawa (NdT: préfecture mitoyenne de celle de Tokyo)
En 1914, il fonde une organisation qui s’occupe de l’étude des classiques et donne de nombreuses conférences sur le sujet. En 1917, c’est le premier misogi d’été qui a lieu sous une cascade.
Il continuera à écrire de nombreux ouvrages jusqu’à son décès survenu en 1929.



Sur son site, le Miizukai affiche notamment des témoignages datant des années 30, de certains de ses membres qui ont côtoyé Kawatsura sensei et qui ont eu divers entretiens avec lui. L’un des témoignages publié à l’origine en 1930, aborde le sujet de la pratique de Ame no Torifune, en précisant que ce texte qui date quelque peu à été retranscrit dans le langage moderne.
Le shinto évoqué ici est, je l’ai dit, issu d’une pratique populaire, il se veut donc
essentiellement pratique et utile, c’est donc pourquoi je pense qu’il pourra intéresser les pratiquants, sans tomber dans l’ésotérisme.

Ce que j’ai entendu raconté de la part de Kawatsura sensei à propos de Torifune (par Mr T.)


Il m’est arrivé d’interroger sensei à propos de l’origine de « Ame no torifune Undo » qui fait partie de sa pratique du Misogi. Après avoir abordé globalement son aspect historique, nous avons eu une discussion très instructive sur son implication dans la vie quotidienne.


(NdT: Petit complément d’information, le terme Ame no Tori Fune, le bateau oiseau céleste, apparait dans le Kojiki, un des principaux ouvrages du Shinto. Une des interprétations possibles de ce nom est qu’il désigne une sorte de véhicule (bateau) volant (oiseau) de la Terre vers le Ciel (céleste), le moyen de transport des kami en quelques sortes)


Selon la tradition du Shinto, et en empruntant des termes anatomiques modernes, au sein des 33 vertèbres qui constituent la façade arrière de notre corps, il faut faire la distinction entre Vertebrae Spuriae (仮椎) et les Vertebrae Venus (真椎). (Ndt: Vertebrae spuriae fait allusion aux vertèbres fusionnées du sacrum et du coccyx)


Vertebrae Venus sont constitués de 24 vertèbres parmi lesquelles les 7 vertèbres
cervicales en haut, les 12 vertèbres thoraciques au milieu et les 5 vertèbres lombaires en bas.
Vertebrae Spuriae sont les 5 vertèbres sacrales en haut et les 4 vertèbres du coccyx en bas. Par le passé, on parlait simplement d’os du cou pour désigner les vertèbres cervicales et de colonne vertébrale pour évoquer les vertèbres thoraciques et lombaires.


Pour changer de sujet, le corps humain tout d’abord est doté de trois Hyoshi 拍子 (Ndt: Rythme, cadence). Juste en ajustant jour après jour ces trois rythmes on peut passer une existence heureuse en bonne santé. Mais s’il vient à en manquer un seul, les problèmes apparaissent directement dans notre corps.
Cependant, on peut se demander « Qu’est-ce que c’est que c’est trois rythmes ? » Ce sont dans l’ordre: bien se nourrir, bien excréter et bien dormir.
Si ces trois rythmes sont impeccablement arrangés au quotidien c’est signe de bonne santé, mais si on ne mange pas, ou bien si on ne va pas à la selle ou si encore on ne dort pas bien la nuit, si on n’est pas malade, on est proche de l’être. Par conséquent veiller à sa bonne santé, c’est faire attention à la régulation de ces trois rythmes dans notre corps. C’est aussi un moyen d’améliorer sa force.
S’il n’existe plus cette régulation des trois rythmes, si par exemple on ne se nourrit pas ou bien encore qu’on est pas capable de dormir profondément, comment faire ? Il existe une méthode transmise au sein du Shinto depuis les temps anciens.
Si on ne bouge pas harmonieusement les vertèbres du dos, c’est-à-dire les 12 vertèbres thoraciques, le goût des choses devient fade et l’appétit décline. Et par là même, les forces s’amenuisent. Si on met en mouvement de façon harmonieuse et libre, grâce à des exercices modérés, les 12 vertèbres du dos, l’appétit apparaît naturellement.
Si ce sont les vertèbres cervicales que l’on ne bouge pas harmonieusement, le sommeil naturel ne vient pas. Et finalement, si par manque d’exercices, ce sont les vertèbres lombaires qui ne bougent pas de manière correcte, le mouvement des intestins s’en trouvent affectés.
Lors de la pratique de Misogi, c’est exactement le but de Ame no Torifune Undo (天の鳥船運動). Si on pratique ce mouvement avec ferveur, cela fait un exercice modéré naturel pour les vertèbres cervicales, thoraciques et lombaires. Que ce soit les exercices Torifune, Ibuki, Hassei ou encore Furitama, tous propre au Shinto, ils contiennent le même sens, à savoir obtenir la sensation de faire bouger correctement les vertèbres cervicales, thoraciques et lombaires.
(NdT: Ibuki est un exercice respiratoire, Hassei désigne l’émission de sons et Furitama est un exercice où on secoue les mains jointes devant le seika tanden et qui doit normalement s’intercaler entre les différentes phases de Torifune)

Décès de YAMADA Yoshimitsu sensei